La
Science de l'homme africain
On peut grouper sous le
nom d'occultisme un ensemble d'idées, de tendances constituant un
domaine intermédiaire entre celui du surnaturel et celui de la raison, entre la religion et la science. C'est une croyance
extrêmement répandue que celle de faits échappant à toute explication
rationnelle et manifestant l'intervention de forces, d'êtres, de volontés
généralement inaperçus, qui interviennent dans les affaires humaines ou dans la
marche de l'univers d'une manière pour nous arbitraire. Sous sa forme la plus
précise, celle du miracle, cette croyance au surnaturel semble à peu près inséparable de
l'idée même de religion, le miracle étant la preuve sensible de l'existence de
la divinité révélée par des phénomènes que les lois rationnelles sont
impuissantes à expliquer. Seulement les progrès de la science et de la critique
ont établi que jamais un miracle ne s'était produit en un lieu où il se trouvât
des humains capables d'en vérifier la réalité. Les faits qui semblaient jadis
surnaturels ne paraissaient tels qu'à notre ignorance; la plupart ont reçu une
explication rationnelle, et la conviction s'est enracinée qu'il n'y a d'autres
bornes au domaine de la loi scientifique que celles de la perception humaine.
Tout ce qui peut être perçu, c.-à-d. senti ou connu par nous à quelque titre
que ce soit, est ou pourra être ramené à des lois abstraites. Un nombre chaque
jour plus grand de personnes imbues de la culture rationnelle écartent toute
idée de surnaturel. La supériorité de la pensée moderne s'affirme à leurs yeux
par la substitution des notions scientifiques aux croyances religieuses qui
malgré d'ingénieux efforts et des concessions variées, sont inconciliables.
Nous n'insistons pas sur cette question, et nous nous contenterons d'examiner
ce que furent et ce que deviennent, au moment de l'éviction du surnaturel par
la science, les idées occultistes.
La
prétention de leurs adeptes fut de tout temps d'étendre leur connaissance et
leur pouvoir sur des forces différentes des forces matérielles et susceptibles
pourtant d'être étudiées et méthodiquement employées. Ce domaine des sciences
occultes, distinct de celui du surnaturel, puisqu'il demeurait accessible à
l'action humaine, a été de plus en plus restreint par les progrès de la science
rationnelle. Toutefois, aujourd'hui encore, ces idées ont de nombreux partisans
et, fidèles à notre règle d'impartialité, nous avons confié à l'un d'eux
l'exposé de leur système. On le trouvera plus loin. Ces théories nous
paraissent une survivance des époques antérieures où la notion de loi
scientifique n'était pas clairement dégagée. L'oeuvre des savants a été
précisément d'éliminer cette part de mystère qu'on mêlait autrefois aux
pratiques et aux théories scientifiques. Écartée des sciences exactes, elle
tend à se confiner dans le champ encore obscur des rapports du physique et du
moral. Quant aux imaginations développées par quelques écrivains occultistes
sur la primitive histoire de l'humanité, elles sont purement fantaisistes.
Avant d'en arriver à l'exposé de l'occultisme contemporain, il nous faut
retracer brièvement les données les plus générales et l'historique de ces
sciences du surnaturel, desquelles se sont peu à peu dégagées les sciences
proprement dites, rejetant un encombrant résidu de superstitions qui
n'ont plus d'intérêt que pour l'étude psychologique des diverses sociétés
humaines.
A
l'origine, les conceptions occultistes remplissent l'horizon tout entier; elles
forment un amalgame confus d'où se dégageront ultérieurement la religion et la
science confondues à ce stade de l'évolution. Les premières généralisations de
l'animisme expliquent tout phénomène par l'action d'esprits semblables au
nôtre. Ainsi que l'ont montré les premiers sociologues, notamment Spencer, pour
ce qu'ils appellent le sauvage, l'immatériel, l'invisible paraît aussi réel que
le matériel. Un nuage se forme, se dissout sur place; que dire du vent dont on
sait l'irrésistible violence? de l'ombre, du reflet? Les mirages montrent tour
à tour au même endroit des objets fort divers. Les métamorphoses des insectes
imposent la notion des transformations inattendues d'un même être. Les
pétrifications, les fossiles témoignent qu'elles s'étendent de la nature
vivante à l'inanimée. Le rêve conduit à distinguer du corps l'âme qui se
promène au loin, accomplit les actes les plus variés, tandis que le corps
demeure à la même place à peu près inerte. Une généralisation bien facile
assimile la mort à un sommeil prolongé, à une émigration
définitive de l'âme, d'autant plus que les survivants revoient en rêve les
morts qu'ils ont connus. Les constatations de la vie courante aboutissent donc
sans grand effort à cette idée que le monde est peuplé d'âmes, esprits,
souffles, auxquels on attribue tout événement dont la cause échappe.
L'animisme, le spiritualisme est à la racine de toute notre évolution mentale.
Il n'en est pas le résultat, mais le point de départ. Refoulé dans un domaine
de plus en plus étroit, à mesure que s'agrandit à ses dépens celui de la
science rationnelle, il survit obstinément dans les religions et dans l'occultisme.